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X.7 Zones urbaines et crises prolongées

D’ici 2050, on estime que la population urbaine mondiale aura quasiment doublé, faisant de l’urbanisation l’une des tendances les plus porteuses de changements au XXIe siècle. Dans le même temps, les catastrophes naturelles, les conflits armés et les événements d’une extrême violence se produisent de plus en plus souvent en zone urbaine, occasionnant des dégradations durables et répétées aux services publics fragiles ou souvent déjà dysfonctionnels (comme l’assainissement) et posant de sérieux problèmes de durabilité. Lorsque les crises dans les zones urbaines durent des années, voire des décennies, les besoins humanitaires atteignent un degré de gravité élevé, car des systèmes et des services publics entiers sont affaiblis au point de s’effondrer. La résilience de la société est poussée à son maximum lorsque les moyens de couvrir les besoins essentiels des populations échappent à leur contrôle. Dans le domaine de l’assainissement, cette situation est particulièrement marquée dans les zones urbaines par rapport aux zones rurales, car les services essentiels tels que les infrastructures d’assainissement, les réseaux d’égouts et la gestion des boues de vidange sont de plus en plus complexes. Les approches et les réponses humanitaires doivent donc être conçues de manière très différente de ce qu’elles sont aujourd’hui. Une attention particulière doit être accordée à l’impact cumulatif de la dégradation chronique des services et au risque croissant pour la santé publique. Dans une large mesure, les problèmes découlent de la complexité des systèmes urbains et de leur dépendance à l’égard d’infrastructures interconnectées à grande échelle qui reposent sur la disponibilité d’un personnel qualifié et sur un approvisionnement fiable en énergie et en eau pour assurer la prestation des services. Dans un grand nombre de situations, les défaillances du système d’approvisionnement en eau et les coupures d’électricité affectent considérablement la capacité à gérer un système d’assainissement complexe. Cette situation est aggravée par le fait que les établissements d’enseignement cessent souvent de fonctionner et que les possibilités d’emploi dans les secteurs établis disparaissent. Conjuguées à la fragilité sociale, politique et économique de nombreux États, ainsi qu’aux catastrophes naturelles, ces dynamiques forcent des millions de personnes à fuir leurs habitations et à chercher refuge ailleurs, généralement dans d’autres villes du pays ou à l’étranger, surchargeant ainsi souvent les capacités des infrastructures des villes d’accueil. Alors que les approches humanitaires traditionnelles ont été largement développées dans des contextes ruraux, la prise en compte des vulnérabilités et des besoins spécifiques des populations urbaines en situation de crise prolongée nécessite des approches sociotechniques complexes et des solutions à long terme, qui vont au-delà du fossé actuel entre l’humanitaire et le développement, et qui dépassent souvent les capacités et les compétences des acteurs humanitaires. En termes de défis sanitaires, cela signifie également que les organisations humanitaires doivent s’occuper de systèmes et de services d’assainissement décentralisés plus complexes et, parfois, de la réhabilitation de systèmes d’égouts et de stations d’épuration centralisés à grande échelle.

Comprendre les services urbains essentiels

Les forces économiques et politiques locales et internationales sont en train de transformer les modes de vie et les lieux de résidence des populations, brouillant ainsi la distinction autrefois nette entre zones « rurales » et « urbaines ». Cependant, des composantes clés des services essentiels, comme les stations d’épuration, sont souvent situées en dehors des villes. Une zone urbaine peut donc être définie comme un lieu de résidence dans lequel les personnes sont exposées aux perturbations des services essentiels et au réseau de composantes qui les soutiennent.Les services urbains désignent les biens, les actions ou autres éléments de valeur proposés à une population urbaine. Les services urbains essentiels sont ceux qui sont vitaux et qui permettent d’assurer la subsistance de la population, y compris l’électricité, la santé, l’eau, la collecte et le traitement des eaux usées ainsi que la gestion des déchets. Tous les services urbains nécessitent trois éléments pour fonctionner : les personnes (par exemple les prestataires de services, les sociétés privées et les en-trepreneurs), le matériel (par exemple les infrastructures, les équipements, les machines) et les consommables (par exemple le carburant, le chlore, les médicaments). On considère qu’il y a interruption d’un service essentiel lorsque la fonction de l’une de ces composantes, à savoir des personnes, du matériel ou des consommables, est perturbée. L’interruption à court terme d’un service peut ne pas avoir d’impact majeur sur la survie des populations civiles, tandis que sa défaillance à long terme a un impact cumulatif sur les services, avec les risques qui en découlent pour la santé publique.

Impacts directs, indirects et cumulatifs

Les impacts directs désignent les effets généralement immédiats et physiques, tels que les dommages causés aux infrastructures urbaines essentielles, la mort de techniciens et d’équipes de maintenance, le pillage des magasins, des hôpitaux ou des entrepôts des prestataires de services et/ou le retrait de pièces directement dans les infrastructures. Les impacts indirects sont considérés comme découlant des impacts directs, affectant une composante associée d’un système, généralement à court ou moyen terme. À titre d’exemples, on peut citer la « fuite des cerveaux » qui se produit après une perturbation sociale de grande ampleur ou la pénurie de pièces de rechange due à un manque de moyens financiers pour les acheter. Ces impacts peuvent s’accumuler au fil du temps, aboutissant, par exemple, à un manque d’entretien causé par une pénurie de personnel sur le long terme, conduisant à la diminution de l’offre de service, de l’entretien des infrastruc-tures et à un manque de performance opérationnelle (par exemple des machines fonctionnant avec des pièces mal calibrées ou mal ajustées). Les impacts cumulatifs désignent les détériorations à long terme des services essentiels du fait d’un ou de plusieurs impacts progressifs directs et/ou indirects sur un ou plusieurs des éléments essentiels (c’est-à-dire les personnes, le matériel et les consommables). L’expérience suggère que les impacts cumulés sont les plus destructeurs et les plus difficiles à surmonter. Cela est généralement dû à l’ampleur des travaux de réhabilitation des infrastructures nécessaires pour rétablir tout service ou ensemble de services dans les zones urbaines. L’impact cumulatif est encore plus évident dans les situations de conflit prolongé en milieu urbain. Plus précisément, le concept d’impact cumulatif exige de passer des méthodes de secours traditionnelles à un nouveau paradigme qui prend en compte les réalités et les besoins à long terme dans les zones urbaines. L’impact cumulatif permet également de comprendre comment la qualité des services urbains essentiels peut se détériorer jusqu’à un point de non-retour à travers un «cercle vicieux» d’impacts directs et indirects cumulatifs. Ces impacts, qui font peser de graves risques sanitaires et affectant le bien-être des populations, entraînent des déplacements inutiles.

Améliorer les méthodes d'assistance aux populations sinistrées

Lorsque l’on considère les services d’assainissement urbain en situation de crise prolongée, les distinctions entre les étapes de la réponse urgence-réhabilitation-développement sont rarement claires. Par exemple, les différences de qualité ou de couverture des services entre les divers quartiers signifient qu’il faut parfois mettre en place simultanément dans une même ville plusieurs types de programmes, allant de la vidange des fosses à la réhabilitation d’une station d’épuration. Étant donné la complexité de l’interconnexion des services urbains entre eux et entre l’intérieur et l’extérieur des villes, il est parfois difficile, voire contre-productif, d’imposer des frontières artificielles (par exemple le passage de l’aide d’urgence au « développement »). Les interventions dépendent du contexte et des besoins peuvent donc parfois nécessiter un mélange des étapes classiquement appelées «urgence», « réhabilitation/ relèvement » et « développement » à tout moment au cours d’une crise prolongée. En outre, la principale lacune des modèles de financement dans les contextes humanitaires a été bien identifiée : des cycles de financement à court terme qui ne correspondent pas aux besoins de la population ou des autorités qui sont en charge de la réhabilitation. Des mécanismes de financement plus adaptés au contexte et plus durables sont nécessaires pour permettre de passer d’une réparation réactive des dommages causés aux infrastructures (impact direct) à une maintenance préventive et proac-tive, puis à la réhabilitation (impacts indirect et cumulatif), toutes deux nécessaires pour stabiliser, voire restaurer, les services urbains essentiels. C’est notamment le cas de l’assainissement, qui est souvent perçu comme une priorité faible par les différents acteurs locaux et internationaux, par rapport à d’autres services essentiels tels que l’eau et l’électricité. Du fait de la complexité des contextes urbains, il est particulièrement important de créer des partenariats pour rétablir des systèmes plus résilients, sachant que le contexte rend aussi ces partenariats plus délicats. La capacité à s’engager dans les nombreux réseaux horizontaux de gouvernance informelle qui se superposent aux hiérarchies verticales s’acquiert mieux par l’expérience. À titre d’exemple, l’approche visant à soutenir les entreprises privées prestataires techniques de services publics peut constituer un tournant dans la méthode d’intervention dans un contexte de crise prolongée. Comme il n’existe pas de modèle de référence pour ce type de partenariat, les relations établies avec les autorités, les bénéficiaires, le secteur privé et d’autres acteurs non-étatiques seront en fin de compte déterminées par l’analyse des vulnérabilités et des opportunités les plus importantes dans e contexte. La meilleure façon de répondre à toutes les questions fondamentales précitées est de prendre la mesure de l’ampleur et de la durée du défi, de l’interconnectivité multidimensionnelle des services essentiels, des effets cumulatifs et indirects ainsi que des effets directs, de la nécessité de repenser l’éventail des activités d’intervention d’urgence, de réhabilitation et de développement, et des financements qui ne correspondent pas à la durée ou à l’ampleur des besoins. La clé du succès pour relever un tel défi consiste à parvenir à un consensus sur la nécessité de changer de paradigme dans la manière dont on intervient en urgence en milieu urbain.

Références

(): Zones urbaines et crises prolongées

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